GODF et Laïcité en Nouvelle-Calédonie
La loi de 1905 ne s’applique pas en Nouvelle-Calédonie
La rade de Nouméa en 1857
Le 9 décembre 1905, la loi de séparation des Eglises et de l’Etat est votée. Elle affirme les libertés de conscience et de culte, et met fin au Concordat. Son article 2 indique que « la République ne reconnaît ni ne salarie ni ne subventionne aucun culte ». Outre-Mer, la Nouvelle-Calédonie partage avec la Guyane, la Polynésie Française, Saint Pierre et Miquelon, Wallis et Futuna et Mayotte, la non application de cette loi. Aujourd’hui, dans les Territoires d’Outre-Mer le régime des cultes est encadré par les décrets-lois du 16 janvier et du 6 décembre 1939, dits « Décrets Mandel » (Georges Mandel, alors ministre des Colonies). Cette situation particulière provient du fait que la loi du 18 germinal an X (la loi instaurant l’application du Concordat) n’avait pas été étendue aux colonies. Au cours du XIXème siècle, le régime concordataire avait été appliqué aux Antilles françaises et à la Réunion ce qui a permis l’application de la loi de 1905 à partir de 1911.
Le bagne de Nouville : La transportation débuta en 1868 pour
s’achever en 1898.Mais le bagne ne fermera ses portes qu’en 1930.
Sources : archives de la NC
Faire face au poids des missions sur le territoire
En Nouvelle-Calédonie, colonisée plus tardivement, l’histoire est marquée par l’importance des missions. Très tôt les missionnaires s’installent, dès 1840 pour les missions protestantes de la London Missionary Society, et dès 1843 pour les missions catholiques maristes. Avec la prise de possession du territoire par la France en 1853, les maristes vont prendre de plus en plus de poids dans la vie de la colonie, jusqu’à devenir, avec l’administration pénitentiaire, un véritable état dans l’état. C’est la Loge « Union Calédonienne » du GODF, créée en 1868 qui va être le fer de lance de la lutte contre les missionnaires maristes auxquels on reproche leur proximité avec les kanaks et le frein qu’ils mettent à la colonisation libre.
Louise Michel : elle fut déportée au bagne de Nouvelle-Calédonie de 1873 à 1880. Elle obtint d’exercer son métier d’institutrice, d’abord auprès des enfants de déportés, puis dans les écoles de filles. En 1878, elle soutint la révolte canaque.
Très vite des écoles indigènes laïques sont ouvertes par des Frères Maçons dans le but d’enseigner la langue française et d’y développer l’amour de la France et de la République. Mais la fermeture de la Loge de 1875 à 1878, à la suite de l’évasion de Rochefort, et la révolte indigène de 1878 donneront un coup d’arrêt à ce mouvement. Par contre, les missions catholiques continueront à se développer. C’est pourquoi, à partir de 1881, le Conseil Municipal de Nouméa (la seule municipalité alors existante) où les Maçons sont majoritaires, ne cessera de réclamer la promulgation des lois métropolitaines sur les Congrégations. En 1880 les écoles de Nouméa sont laïcisées ainsi que le collège créé l’année suivante. Mais hors de Nouméa, sur 5 écoles primaires, seules deux sont laïques et destinées aux européens. Quant aux écoles indigènes, elles sont tenues à 80% par les missionnaires catholiques.
Le Gouverneur FEILLET Il fut Gouverneur de la Nouvelle-Calédonie de 1894 à 1903. Il fit cesser la transportation et encouragea la colonisation libre.
Entre 1880 et 1914, la guerre entre cléricaux et anticléricaux fait rage
Le point d’orgue de cet affrontement sera la construction de la cathédrale de Nouméa à partir de 1887. Le gouvernement français accorde au clergé le terrain, les matériaux et la main d’œuvre pénitentiaire pour cette construction. L’Union Calédonienne condamne cette décision du fait que le clergé calédonien n’étant pas séculier ne peut bénéficier des avantages du Concordat qui de toute façon n’a pas été appliqué aux colonies. De plus, une coalition de cléricaux et d’industriels miniers, intéressés par les appels d’offres, aboutit au versement par le Conseil Général, d’une subvention de 15 000 F pour la construction de la cathédrale alors que le budget de la colonie est déficitaire. Les projets de création d’un établissement de santé et d’une école laïque sont abandonnés. C’en est trop pour les Frères de l’ « Union Calédonienne » qui demandent aux loges métropolitaines une aide pour ériger une statue de Voltaire devant le temple maçonnique qui surplombe alors la cathédrale.
Le pasteur Maurice Leenhardt, sa femme et leurs premiers élèves en 1905. Sources : collection du service des Archives de la Nouvelle-Calédonie, 1 Num 19-23, album Do Neva.
En 1894, lorsqu’arrive le Gouverneur Feillet, qui mettra fin à la Transportation pour promouvoir la colonisation libre, les organismes sociaux sont aux mains des missionnaires catholiques (Maristes, sœurs de saint Joseph de Cluny, petites sœurs des pauvres..). Ils assurent l’essentiel de l’enseignement surtout auprès des indigènes dont 10% sont scolarisés mais aussi dans les écoles publiques en tant que professeurs. Les sœurs assurent aussi les soins à l’hôpital et au bagne. Entre 1894 et 1903, la bataille fait rage entre les frères de l’ « Union Calédonienne » soutenus par le Gouverneur Feillet d’une part, les sociétés minières et l’église catholique d’autre part. L’anticléricalisme métropolitain se propage aux colonies. Les francs- maçons se succèdent à la tête du Conseil Général. L’ « Union Calédonienne » dénonce les fonctionnaires accusés d’être cléricaux et antirépublicains, combat les missions catholiques, qui se multiplient alors, mais encourage les missions protestantes.
Le temple maçonnique surplombait la cathédrale ce qui exacerbait la colère des cléricaux. La Loge Union Calédonienne s’étant sabordée en 1940, ce terrain, qui dominait la ville fut cédé à la Fédération des Oeuvres Laïques qui l’occupe toujours.
La laïcité progresse
En 1883, la Loge « Union Calédonienne » a créé la « section de propagande de l’enseignement laïque », le tronc d’instruction circule à la fin de chaque tenue qui finance les distributions des prix des écoles laïques. En 1880, le Conseil municipal de Nouméa a, sous l’impulsion des nombreux frères qui en font partie, laïcisé les écoles. En 1901, le budget des cultes est supprimé quatre années avant ce qui aurait pu être la séparation de l’Eglise et de l’État dans cette colonie. En 1903, il y a 35 écoles laïques dont 31 hors de Nouméa et 77 instituteurs laïques. En 1905, les maçons forment la moitié du personnel enseignant de Nouméa, facteur non négligeable dans l’essor des idées laïques. L’ « Union Calédonienne » ne cesse de réclamer l’application de la loi métropolitaine de 1905. Mais après la première guerre mondiale les conflits vont s’apaiser.
Les garçons du collège Lapérouse en 1938. On constate qu’il y a très peu d’élèves mélanésiens. Sources : fonds personnels M. Vautrin.
En 1920, il y a en Nouvelle-Calédonie 97 écoles primaires, dont 56 écoles publiques et 50% des enfants sont scolarisés. Mais les écoles publiques scolarisent essentiellement des enfants de colons européens (à 85%) alors que les missionnaires ont gardé le quasi-monopole de l’éducation des indigènes. 2220 élèves fréquentent les écoles missionnaires et 2578 reçoivent un enseignement laïc. En 1923, l’enseignement du français est imposé et la République prend alors en mains l’instruction de tous les Calédoniens.
Qu’en est-il aujourd’hui
On l’a vu la loi de 1905 ne s’applique toujours pas et le régime des cultes sur le territoire est toujours régi par les décrets Mandel. Les organisations missionnaires ont donné naissance à trois organismes d’enseignement : la Direction diocésaine de l’enseignement catholique, l’Alliance scolaire de l’église évangélique et la Fédération de l’Enseignement Libre Protestant. Ils sont tous sous contrat. Sur 35 000 élèves du primaire, 74% sont dans le public. La proportion est quasiment la même dans le secondaire. Mais il y a plus de lycées professionnels privés(9) que publics(5). La querelle scolaire est visiblement éteinte et personne ne souhaite la rallumer : le mot même de laïcité semble tabou et il est difficile de l’évoquer dans les médias.
Le sénateur (UMP) Pierre Frogier et le président du Congrès duTerritoire Rock Wamytan (UC indépendantiste) reçus par Benoît XVI le 15 décembre 2011.
L’évolution institutionnelle du pays fera-t-elle une place à la laïcité dans une constitution actuellement en discussion entre les partis indépendantistes ? Rien n’est moins sûr si on considère que la religion, fondamentaliste ici, tient encore une très grande place dans le pays et qu’elle a toujours joué un rôle politique. Le premier parti politique créé après la fin de la colonie en 1945 est né de l’union de deux organisations religieuses l’une catholique et l’autre protestante. C’est l’Union Calédonienne, parti qui existe toujours et qui est devenu indépendantiste, à distinguer de la Loge du même nom qui s’est sabordée en 1940 et qui renaîtra au début des années 60 sous le nom de Fraternité Calédonienne.
Très récemment, la Ligue des Droits de l’Homme a publié une proposition de Charte citoyenne en Nouvelle-Calédonie. Son article 4 est ainsi rédigé : « Nous décidons ensemble de fonder une société laïque dynamique œuvrant prioritairement à l’accomplissement humain en préservant et en respectant le fondement et l’expression des identités, opinions et valeurs ».
Ce vœu sera–t-il pris en compte dans de futures institutions ? On ne peut que le souhaiter. Pourtant la récente audience conjointe du sénateur UMP Pierre Frogier et du président indépendantiste du Congrès Rock Wamytan avec le Pape Benoît XVI, où il a été évoqué l’héritage chrétien du territoire, montre qu’il y a encore beaucoup de chemin à faire.
Photo des filles de St Louis, une mission près de Nouméa, en 1890. Sources : collection service des Archives de la Nouvelle- Calédonie 1 Num 2 148, fonds de l’Archevêché de Nouvelle-Calédonie.
Photo des élèves de l’école des frères maristes, à Nouméa, en 1890. Seuls les enfants d’origine européenne étaient scolarisés à NouméaSources : collection service des Archives de la Nouvelle-Calédonie,1 Num 2 63, fonds de l’Archevêché de Nouvelle-Calédonie.